J’ai fait une courte intervention au colloque ‘Rareté et livres rares du XVe au XXIe siècle’ (https://livrerennes.hypotheses.org/rarete-et-livres-rares)(un compte rendu du colloque est disponible sur le blog de la Société bibliographique de France, https://histoirelivre.hypotheses.org/915). Voici la teneur de mon propos. Je précise que je laisse ici de côté l’histoire du livre électronique, elle qui renferme – déjà ! – des raretés archéologiques.
Le livre électronique rare, inscription de rencontres et d’usages
Un livre électronique rare est un paradoxe…
Une notion stupide
La notion de rareté peut même paraitre incongrue voire impossible : un livre électronique, c’est avant tout un fichier informatique qui, comme la majorité des fichiers informatiques ne souhaite qu’une chose : se reproduire.
La « machine à copier » (« Kopimashin ») de Peter Sunde qui réalise un nombre infini de copies d’une seule et même chanson, à savoir « Crazy », de Gnarls Barkley.
Mais de nombreux avatars
Pourtant, d’une autre façon, la rareté est quasi intrinsèque au livre électronique si l’on comprend « rareté » en « unique ». En voici quelques avatars.
Les DRM
Si j’achète un livre au format epub « watermarqué », alors mon exemplaire est unique par une marque informatique :
En clair ici mon nom de compte et d’entreprise de mon compte, mon nom ou ma référence client et la date de l’achat. Le marquage peut être aussi en « invisible », sous forme de code informatique, par exemple : </div><!-- Yves Picard <yv_public@×××××; --> <!-- customer ××××× at 2016-07-20 22:42:17 +0200 -->
C’est bien le but même des verrous numériques d’individualiser un fichier générique afin de créer de la rareté, ou plus exactement de la rareté qui doit rester rare.
L’affichage personnalisé
L’affichage d’un livre électronique, quasiment complètement personnalisable, tend à être lui aussi matière à rareté : on peut envisager des configurations complètement inédites (voire hasardeuses) que l’on pourrait théoriquement garder. Ou figer : ce même livre électronique imprimé serait-il rare à son tour, ou plus rare ?
Deux extraits d’une version électronique du Disque-Monde parfaitement uniques.
Le livre personnalisé
Au-delà de ce marquage, la notion de livre personnalisé est tout à fait jouable dans le monde électronique. On propose ainsi un livre où le client choisi les noms de certains personnages : chaque livre ainsi produit sera unique, donc rare, en tant qu’œuvre.
Un dialogue personnalisé où les noms des personnages a été changé.
Les livres « cousus main »
Les manières sont aujourd’hui innombrables pour obtenir un « livre », sous-entendu un e-pub. Nous nous heurtons là à la définition du livre. Il va falloir laisser passer un peu d’histoire 😉
Une non-diffusion
Un cas limite pourrait être un livre électronique qui resterait unique parce qu’il n’aurait jamais été téléchargé, par exemple noyé dans 100 000 résultats de recherche.
Si vous en voyez un jour, n’y touchez pas ! Car sinon retour au paradoxe du livre électronique rare : un fois trouvé, il n’est plus rare, son partage est inéluctable.
Le livre commun
La piste qui me paraît la plus stimulante pour approcher la notion de rareté dans le livre électronique est de reprendre la phrase de Bob Stein,
Le livre est un lieu.
Un lieu où il se passe des choses
Par exemple des lectures, recueillies par des données et pourquoi pas marquées par des annotations.
Ces annotations peuvent comporter des liens vers des sites ou d’autres livres : on écrit alors la galaxie mentale que crée la rencontre particulière d’un livre et d’une lecture, de lectures, de lectures de lectures. C’est la glose (le commentaire) autour du livre.
Moby Dick commenté en ligne sur Hypothes.is
Un lieu où passent des gens
Par exemple des rencontres, si on pousse la socialisation des lectures un peu plus loin : que le livre soit inséré dans le Web par exemple, où des liens, des flux, un contexte, des livres amis pourquoi pas mais aussi de simples likes l’entourent comme d’une nouvelle glose, et l’on pourrait enchâsser le tout sous une nouvelle couverture. C’est la conversation autour du livre, voire son écriture même.
Ainsi, c’est l’usage massif et documenté d’un livre qui le rendrait remarquable et unique. Mais là encore, nous sommes dans le paradoxe : il s’agirait d’un livre rare car très utilisé, comme peut l’être une page Wikipédia de référence.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Hugo
https://xtools.wmflabs.org/articleinfo/fr.wikipedia.org/Victor_Hugo
Pages Wikipédia dont…
on peut faire un livre 😉
Voir aussi https://quod.lib.umich.edu/d/dh/13474172.0001.001/1:4/–ethical-programs-hospitality-and-the-rhetorics-of-software?g=dculture;rgn=div1;view=fulltext;xc=1
Commun car singulier
Un livre « pas comme les autres » car devenu commun dans au moins trois acceptations du termes :
* d’un usage commun, banal,
* rassemblant en un carrefour commun l’accès à des savoirs éparpillés,
* administré comme un « commun » et non par une « autorité ».